LA FRANCE PEUT-ELLE SE RELEVER SANS SON PEUPLE ? Regards croisés sur une nation en quête de sens

Par Sénamé Agbossou En observant les troubles sociaux qui secouent la France depuis plusieurs années – des Gilets jaunes aux blocages des agriculteurs, jusqu'aux appels à « Bloquer tout » –, je ne peux m'empêcher de me demander : s'agit-il vraiment d'une simple crise politique, ou assistons-nous à quelque chose de plus profond ? Une fracture qui touche au cœur même de notre conception de la communauté, de l'appartenance et du projet commun ? Porteur de la double nationalité, togolaise et française, et fort de décennies d'expérience professionnelle entre l'Europe et l'Afrique, je perçois les difficultés actuelles de la France à travers un prisme singulier. C'est celui de l'Ubuntu, cette philosophie africaine qui nous rappelle que « Je suis parce que nous sommes ». À travers mon travail avec Obuntuo, je me suis donné pour mission de rendre ce principe opérationnel au sein des équipes, des institutions et de la vie citoyenne. Ce que je vois en France aujourd'hui, ce n'est pas seulement un échec du politique. C'est un échec de la relation. Et l'Ubuntu a beaucoup à nous apprendre sur ce qui nous manque et sur la manière de retrouver notre chemin. Ce que l'Ubuntu révèle de la fracture française Lorsque l'on applique la sagesse de l'Ubuntu à la crise française, six manques criants apparaissent :  1. Le déficit de dignité L'Ubuntu part d'une vérité fondamentale : la valeur de chaque personne est inconditionnelle, surtout celle de nos opposants. Mais regardons le climat politique français actuel. Le mouvement « Bloquons tout » a été précédé de symboles profondément dégradants, comme ces têtes de porc déposées près de lieux de culte et portant le nom du président. Ce n'est pas seulement de la mauvaise politique ; c'est une corrosion du socle même qui rend possible le débat démocratique. L'Ubuntu nous enseigne une chose que nous semblons avoir oubliée : la dignité perdue en amont engendre le désordre en aval. Lorsque nous cessons de voir nos adversaires comme des êtres humains méritant le respect, nous empoisonnons le puits de la résolution collective avant même d'avoir commencé. 2. Le déni d'interdépendance Face à une Assemblée nationale sans majorité absolue, la réalité mathématique est claire : aucun camp ne peut gouverner seul. La légitimité doit être co-créée, et non confisquée. Pourtant, notre culture politique continue de fonctionner comme si un camp pouvait l'emporter totalement, tandis que les autres disparaîtraient dans l'insignifiance. La valse des gouvernements et le défilé des Premiers ministres démissionnaires illustrent ce qui arrive lorsque l'on nie l'interdépendance au lieu de l'organiser. L'Ubuntu nous rappelle qu'un pouvoir durable est un pouvoir partagé, non par angélisme moral, mais par pur pragmatisme. 3. Le vide participatif Les politiques publiques ne vivent pas dans les salles de réunion ; elles atterrissent dans des vies réelles. Celles des agriculteurs étranglés par de nouvelles réglementations, des infirmières à bout de souffle dans des hôpitaux en sous-effectif, des étudiants face à un avenir incertain ou des petits entrepreneurs perdus dans une bureaucratie inextricable. Lorsque ceux qui portent…

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